Grand portrait du coutelier Stephen Leblond
» Quand je fabrique un couteau, j’aspire d’abord à ce qu’il ait une bonne prise en main, qu’il soit aiguisable, fonctionnel. C’est en somme un outil que l’on affûte quand il ne coupe plus. Un bon couteau se garde toute une vie, mais il ne reste pas au fond d’un tiroir. »
Le couteau reste un objet soumis à la beauté, l’harmonie.
» Je m’efforce d’allier l’esthétique et le pratique. «
LES MATIÈRES
Les manches des couteaux de Stephen Leblond, coutelier et fondateur de l’Atelier de Faire situé dans les locaux de Cap Luberon à Apt, sont parfois en bois exotique. Stephen vient justement de vendre un couteau dont le manche est en Oranger des Osages, un bois originaire d’Amérique du Nord. Mais ils sont plus fréquemment issus de bois locaux, : olivier, chêne vert, buis, genévrier cade – abondant dans la garrigue – ou bois de cerf. » Il m’arrive aussi, en me promenant, de récupérer des racines qui, une fois ouvertes, révèlent des motifs incroyables « . Stephen choisit sou- vent des bois emplis de nœuds, preuve qu’ils ont vécu et souffert et ces imperfections leur concède un style. » La qualité de la lame importe beaucoup pour certains amateurs, mais je dirais que la silhouette, la prise en main et donc la matière qui fait le manche sont des critères plus vendeurs. «
Les lames sont en acier oxydable, ou acier carbone, un terme utilisé pour ne pas être confondu avec l’inox (acier inoxydable), qui, lui, comporte du chrome et que Stephen utilise pour fabriquer des couteaux à beurre ou à huître. » Si je veux que ça coupe j’emploie de l’acier carbone. La lame doit être gardée au sec pour éviter la rouille et le manche ne peut être mis au lave-vaisselle, mais derrière ces contraintes il y a un couteau vaillant que n’importe qui peut affûter sans être nécessairement doué. Ce n’est pas que l’inox coupe mal, mais son affûtage sera beaucoup plus complexe.
» Il existe mille nuances d’acier (inox ou carbone) ; ce sont les teneurs de carbone dans l’acier qui lui donneront soit sa souplesse, soit sa dureté. Il est possible de jouer avec ces gradations pour obtenir des lames très qualitatives et décoratives. L’acier de Damas de corroyage en est un exemple : une alternance de couches d’acier souples et dures, soudées thermiquement et mécaniquement, dont le procédé nous rappelle celui utilisé en céramique pour les terres mêlées Aptésiennes. » Le damas, c’est la Rolls de la lame! »
Vous n’avez pas encore tout vu : au fond de l’atelier s’entassent quelques boules d’acier. Elles ne sont pas là pour jouer à la pétanque ; c’est du wootz, un acier rare et légendaire que Stephen a ramené d’un voyage en Inde. » Nous savons qu’il y avait une route de la soie, mais il y avait aussi une route de l’acier. Le wootz était utilisé notamment pour la fabrication de lames de sabres. Ce métal s’est épuisé au 18e siècle. Le wootz possède un grain qui confère à la lame une solidité et une tenue de coupe géniales. C’est le top du top !
» Un couteau à lame de wootz coûtera plus de 300€, mais encore faut-il trouver le futur acquéreur, amateur et connaisseur de ce métal.
UN PARCOURS DE COUTELIER
Stephen Leblond, Ariégeois d’origine, amoureux de la nature, voulait être garde forestier mais au lieu des bois il opte finalement pour le bois. Après un apprentissage chez les compagnons du devoir, un CAP puis BEP duquel il ressort meilleur apprenti de la Région Midi-Pyrénées, il obtient un brevet de maîtrise en menuiserie. Plus tard, il rejoint un musée des vieux métiers où il crée un atelier de sabotier pour les touristes désireux de voir revivre d’anciens savoir-faire. À côté de lui se trouve une forge.
» Enfant, j’adorais les couteaux et cette forge m’a donnée l’opportunité d’en faire. Je m’amusais. Puis j’ai découvert le rémoulage sur une machine
à affûter, à pédales. » Stephen se fabrique un banc de rémouleur ; il parcourt les foires agricoles où il affûte les couteaux des paysans. » Un jour, un vieux copain bouilleur de cru (fabricant de gnôle), me dit : ‘l’affûtage est un métier de gagne- misère, je vais te présenter à un ar- tisan coutelier.’ » Stephen a com- pris en effet que pour gagner sa vie uniquement en affûtant il faut beaucoup pédaler…
Revenu au pays, après quelques années d’itinérance, il monte son atelier. Il a appris son métier sur le tas ; une expression bien choisie puisque le tas désigne la partie entre une enclume et un marteau pilon. » Apprendre sur le tas équivaut à dire que c’est en forgeant qu’on devient forgeron. » Stephen est arrivé au Pays d’Apt il y a 5 ans,après une escale à Montsalier, près de Banon. Il vend ses couteaux à sa boutique de Cap Luberon ou sur des marchés et se rend aussi à des foires nationales ou des fêtes médiévales.